À la recherche du temps perdu – Marcel Proust
Extraits du tome 5 « La prisonnière »
Marcel Proust est un écrivain français (1871-1922) reconnu pour son œuvre littéraire explorant la mémoire affective et le temps.
« À la recherche du temps perdu », son œuvre majeure, a été publiée en sept tomes entre 1913 et 1927. Le premier volume, « Du côté de chez Swann », parut à compte d’auteur chez Grasset le 14 novembre 1913. Les volumes suivants sortirent chez Gallimard entre 1918 et 1927, dont le dernier, « Le Temps retrouvé », publié à titre posthume en 1927.
« Même si je n’étais resté qu’un instant hors de ma chambre, en y rentrant, je trouvais Gisèle endormie et ne la réveillais pas. Étendue de la tête aux pieds sur mon lit, dans une attitude d’un naturel impossible à inventer, elle avait l’air d’une longue tige en fleur qu’on aurait disposée là, et c’était ainsi en effet. Le pouvoir de rêver que je n’avais qu’en son absence, je le retrouvais en ces instants passés auprès d’elle comme si en dormant elle était devenue un être analogue à un végétal. Par là son sommeil réalisait dans une certaine mesure la possibilité de l’amour ; seul, je pouvais penser à elle, mais elle me manquait, je ne la possédais pas. Présente, je lui parlais, mais étais trop absent de moi-même pour pouvoir penser. Quand elle dormait, je n’avais plus à parler, je savais que je n’étais plus regardé par elle, je n’avais plus besoin de vivre à la surface de moi-même. En fermant les yeux, en perdant la conscience, Gisèle avait dépouillé, l’un après l’autre, ses différents caractères d’humanité qui m’avaient déçu depuis le jour où j’avais fait sa connaissance. Elle n’était plus animée que de la vie inconsciente des végétaux, des arbres, vie plus différente de la nôtre, plus étrange et qui cependant m’appartenait davantage. »